France : Le gouvernement s’apprête à censurer les émissions Cash investigation, Envoyé spécial et Complément d’enquête

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Cet article tombe à point nommé car juste après la publication du billet consacré au journalisme d’investigation, François Ruffin, journaliste et homme politique, nous informe que dans un esprit d’économies, l’assemblée nationale va s’en prendre aux magasines d’investigations Complément d’enquête, Envoyé spécial et cash investigation en supprimant 33 CDD pour complément d’enquête et envoyé spécial dont on va diminuer la fréquence par 3 voir par 6.

Voilà comment la contrainte budgétaire se conjugue avec la censure politique.

Stéphane Guibert / Finalscape / VK

« Complément d’enquête » et « Envoyé spécial » sous le choc des coupes budgétaires
Lors d’une assemblée générale, les journalistes de France Télévisions ont adopté le principe d’un vote sur une motion de défiance contre la présidente du groupe public, Delphine Ernotte.

« D’accord pour participer à l’effort de guerre, mais là, ça va trop loin… » Ce journaliste résume « l’état de sidération » des équipes d’« Envoyé spécial » et « Complément d’enquête », deux émissions sur lesquelles la direction de l’information de France Télévisions veut réaliser des économies.

Une « piste » à l’étude serait de diffuser les « jeudis de l’information » seulement en première partie de soirée, ce qui réduirait le temps d’antenne de ces émissions présentées par Elise Lucet et Thomas Sotto. Au passage, des contrats à durée déterminée, majoritaires dans ces émissions, seraient supprimés. « Rien n’est encore arbitré », a précisé le directeur de l’information, Yannick Letranchant, mercredi 22 novembre sur France Inter.

Sans rassurer : une assemblée générale s’est tenue jeudi 23 novembre à France 2, lors de laquelle les journalistes ont adopté le principe d’un vote sur une motion de défiance contre la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte. Le vote aura lieu dans les prochains jours.

« Réduire la voilure »

Mardi, les équipes des deux émissions ont adressé une lettre ouverte à la présidente Delphine Ernotte : « Une rédaction des magazines de service public, c’est la possibilité de pouvoir enquêter sur Bygmalion sans être censuré, d’envoyer une équipe en Erythrée sans être accusé de sous-traiter le risque, de dévoiler les dessous de la communication d’Emmanuel Macron sans payer les mécontentements du Château (…), d’être la seule rédaction suffisamment indépendante pour pouvoir enquêter sur Vincent Bolloré et de remporter ainsi le prestigieux prix Albert Londres. »

Mercredi, la société des journalistes (SDJ) de France 2 a renchéri : « Tout en payant la même redevance, le téléspectateur verra moins d’émissions d’enquêtes et d’investigation. »

En face, la direction met en avant les économies imposées par le gouvernement : le budget 2018 a été réduit de 50 millions d’euros, malgré le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. « Réduire la voilure n’est jamais agréable mais aucun service n’y échappe », a assumé Yannick Letranchant. Une bataille de chiffres est engagée : « Cinquante millions d’euros, sur trois milliards de budget, ça devrait représenter moins de 2 %, argumente un journaliste. Or, “Envoyé spécial” et “Complément d’enquête” emploient 25 reporters, dont seulement 7 en CDI, pointe-t-il. « Si on supprime les CDD, il ne restera que cinq journalistes à “Envoyé spécial” et deux à “Complément d’enquête”. »

Nous conservons les deux marques »Selon la direction, il n’y a pas plus de 55 % de CDD, si l’on inclut les non-reporters. Surtout, les réductions de postes ne seraient pas chiffrables car elles dépendent de la fréquence de la nouvelle programmation et de sa date d’entrée en vigueur, a priori en début d’année. Sur les plus de 200 postes non renouvelés à France Télévisions en 2018, « 40 à 50 » devraient être supprimés à « l’info », reconnaît la direction. La SDJ craint que les « magazines » – « Complément d’enquête » et « Envoyé Spécial », mais aussi « 13 h 15 le samedi » et « 19 heures le dimanche » – soient sabrés, en raison de la suppression de CDD

Le temps d’antenne, selon les journalistes, pourrait être divisé par trois : aujourd’hui, « Envoyé spécial » et « Complément d’enquête » sont programmés l’un à la suite de l’autre, trois jeudis par mois, environ. Demain, ils pourraient n’être visibles qu’une fois par mois chacun, les deux autres jeudis étant consacrés à « L’Emission politique » et à « L’Angle éco ». Mais pour la direction, ces calculs sont prématurés : « Envoyé spécial » pourrait être plus fréquent que « L’Angle éco ».

« Nous conservons les deux marques, “Envoyé spécial” et “Complément d’enquête” », a insisté M. Letranchant, pour qui l’investigation « ne se mesure pas au kilo. » De plus, « Complément d’enquête » passerait en prime time. Enfin, argue la direction, les réductions de postes dans les services d’information sont d’autant plus importantes que ceux-ci ont été épargnés ces dernières années, en raison de la présidentielle et du lancement de la chaîne France info.

Le sujet est très sensible pour Delphine Ernotte, qui a souvent mis en avant la liberté d’enquête du service public : elle avait diffusé un documentaire sur le Crédit mutuel, déprogrammé par le Canal+ de Vincent Bolloré. Puis, son directeur de l’information Michel Field avait limogé les figures historiques d’« Envoyé spécial », Guilaine Chenu et Françoise Joly, et demandé à Elise Lucet, le visage de « Cash Investigation », de superviser les « jeudis de l’information ».

Une décision « dans les prochains jours »

Depuis, des accrocs ont eu lieu, notamment fin 2016, autour de la date de programmation d’un sujet sur les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Au printemps 2017, une réflexion a été mise en place pour « diversifier » les enquêtes d’« Envoyé spécial » et intégrer davantage de thèmes de société. Début juillet, son rédacteur en chef, Jean-Pierre Canet, ancien de « Cash Investigation », a été mis à l’écart après la mort de trois journalistes lors d’un tournage à Mossoul, en Irak.

« Il n’y a pas eu d’inflexion de la ligne et nous avons continué à faire des reportages parfois difficiles », relativise un journaliste, tout en pointant une « pression » sur les audiences, en « dents de scie ». « Nos sujets sont parmi ceux qui créent le plus de retours négatifs ou de procès, argumente un autre reporter. Nous ne sommes pas dociles. Si on réduisait “Envoyé spécial” et “Complément d’enquête” ou qu’on faisait appel à des sociétés extérieures, ces sujets existeraient sans doute moins. » La direction promet de prendre une décision « dans les prochains jours ».

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