Culture et Cinéma : Patrick Cowley, entre la disco et la New wave

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Une anthologie rend justice à ce pionnier du disco électronique américain, dont le génie n’a longtemps été reconnu que comme un sous-produit de la culture gay.

Patrick Cowley (1950-1982) fait partie de ces pionniers sans veine dont l’histoire officielle de la musique électronique rechigne encore à reconnaître l’apport. Sans doute parce que le domaine musical dans lequel il avait choisi d’innover – le disco électronique – ambitionnait en premier lieu d’être validé dans le milieu très spécifique des clubs gays californiens du début des années 80. Sûrement qu’il est décédé beaucoup trop tôt, du sida, à une époque où on l’appelait encore «peste gay», pour perpétuer sa carrière et ses inventions.

Le genre dont on lui attribue la paternité, surtout, la Hi-NRG, est encore considéré comme une dégénérescence tardive et dopée au speed d’un disco subclaquant, seulement agréé sur la frise des musiques de danse américaines pour avoir rempli l’espace vacant entre la fin du disco de la côte Est et la naissance de la house à Detroit et à Chicago.

Cowley était pourtant bel et bien un pionnier, à égalité ou presque avec Giorgio Moroder. Il suffit d’écouter n’importe lequel de ses hits (notamment ceux produits pour les divas Sylvester et Paul Parker), d’en apprécier la précision plastique, puis de regarder quand ils ont été produits pour comprendre dans quelle mesure il était en avance sur son temps et pourquoi il est cité systématiquement comme une influence majeure par New Order, les Pet Shop Boys ou Ian Levine (DJ anglais qui fut le premier à copier le son Cowley en produisant le bien nommé High Energy d’Evelyn Thomas).

Grâce au travail d’analyse scrupuleux de quelques historiens du disco (notamment Peter Shapiro dans son remarquable Turn the Beat Around, édité en France chez Allia) et à l’excavation de travaux oubliés enregistrés en parallèle de sa carrière de producteur disco, le nom de Cowley est tout de même en train de devenir plus qu’une note de bas de page dans l’histoire de la culture gay occidentale : celui d’un inventeur sonique éminemment précieux dont on sait désormais que le champ d’exploration allait du postpunk arty à la Devo – son projet Catholic, avec Jorge Socarras, édité pour la première fois par Macro en 2009 – à la musique planante. Car, avant de devenir claviériste attitré de Sylvester et producteur star du label Megatone Records, Patrick Cowley était un musicien électronique de recherche comme les autres.

Etudiant en musique électronique au City College de San Francisco au début des années 70, il a passé ses études à apprendre à apprivoiser les arcanes de la production de son sur synthétiseur modulaire, notamment les monstrueux modular systems des firmes Serge et E-mu sur lesquels il a composé et sculpté ses premières compositions diversement influencées par Wendy Carlos ou le rock planant allemand. C’est grâce à ce catalogue improbable et pléthorique que Cowley a gagné ses premiers dollars en tant que compositeur, en en vendant les droits à la société de production de pornos gays Fox Studio et en les dénaturant de facto en musique utilitaire.

Ce qu’on a pourtant découvert en écoutant School Daze, première compilation de ces musiques de saynètes porno publiée par Dark Entries il y a deux ans, c’est à quel point la musique de recherche de Cowley est riche et imprévisible. Sur Muscle Up, deuxième volume qui paraît ces jours-ci, elle se répand même vers des contrées inespérées : exotica immersive, musique répétitive, polyrythmies funky, ambient vertigineux… Soit la boîte noire incomparable d’un pionnier dont on espère tout de même qu’elle ne fera pas trop d’ombre, dans le cœur des mélomanes, à ses disques de dance music futuriste et formidablement exubérante qui végètent toujours au purgatoire de la musique trashy et trop clinquante, en attendant, on l’espère, de rentrer un jour prochain dans le champ du bon goût autorisé par les puristes électroniques.

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